Jean Zay. Source de la photo : Festival de Cannes 1939

Tacatacatac. Jean Zay a juste le temps de crier Vive la France et s’écroule abattu par une rafale de mitraillette. Celui qui fut le plus jeune ministre de l’Éducation nationale de France et même du monde selon la presse américaine, est assassiné par des miliciens subalternes au moment même où se déroule la bataille de Normandie pour la Libération de la France. Ils ont perpétré leur forfait sur injonction de Joseph Darnand, secrétaire d’Etat au Maintien de l’ordre du maréchal Pétain. Ce qui est sûr c’est que la haine d’une extrême droite antirépublicaine et antisémite parvenue aux affaires avec le régime de Vichy l’avait condamné par avance. Un écrit de jeunesse, à propos du drapeau français, un pastiche rédigé dans un contexte privé du type « à la manière de » a servi de chiffon rouge pour signaler Jean Zay dans les années trente puis dans la presse collaborationniste comme un homme à abattre. Faussement accusé pour désertion aux armées en 1940, Jean Zay, comme Dreyfus, subit, en sus de la prison, la dégradation militaire. Encore aujourd’hui il, s’est trouvé dans les rangs d’organisations d’anciens combattants des gens pour s’insurger contre l’entrée au Panthéon de Jean Zay. C’est la persistance d’une volonté de nuire à la mémoire d’un homme qui a servi la France avec d’abnégation et courage alors que d’autres la livraient aux nazis.
En jetant le corps dénudé, sans alliance au doigt, dans un trou rocheux et en faisant exploser du plastic pour provoquer un éboulement et masquer ainsi leur forfait, les tueurs pensaient faire disparaître à jamais dans les profondeurs de l’oubli le souvenir de Jean Zay. Ils ont en partie réussi. Jean Zay disparu, il est vite oublié malgré la parution en 1946 de Souvenirs et solitude, grand essai de méditation personnelle écrit en prison dans lequel il évoque le passé récent mais aussi sa vision de l’avenir. Quatre ans après sa mort, après une rocambolesque traque, l’assassin principal est capturé et passe aux aveux.  Mais, par divers atermoiements juridiques consternants, le procès n’a lieu que cinq ans plus tard seulement. C’est dire que le souvenir de Jean Zay s’est étiolé encore un peu plus. Comme le soulignera Patrick Penot, Jean Zay était « dans un angle mort de la mémoire nationale ». En 1969, une thèse de doctorat soutenue par Marcel Ruby est publiée avec une préface de Jean Droz professeur à la Sorbonne. C’est la première biographie consacrée à Jean Zay. L’ouvrage est d’importance mais la mémoire de Jean Zay est encore confidentielle. Et pourtant quel parcours avant son entrée au gouvernement !  Après avoir fondé une revue littéraire Le Grenier en compagnie de Roger Secrétain, futur maire d’Orléans, l’avocat Jean Zay est inscrit à 24 ans au barreau d’Orléans. Militant actif du parti radical il est élu de la 1ère circonscription du Loiret en 1932 tout en ayant subi les violentes attaques antisémites publiées dans Le journal du Loiret. Il est brillamment réélu en 1936 et l’année suivante en mars 1937 il devient conseiller général d’Orléans nord-est, circonscription à laquelle il restera très attaché.
Une association Les Amis de Jean Zay se constitue dès 1946 et organise diverses manifestations et colloques pour faire connaître l’œuvre immense de Jean Zay dont la carrière en tant que ministre de l’Éducation nationale, très longue pour l’époque (39 mois) s’est poursuivie sous plusieurs gouvernements issus du Front populaire jusqu’à sa démission en septembre 1939 pour s’enrôler sous les drapeaux. Au cours de son mandat de ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts, Jean Zay est en relation avec divers secrétariats ou sous secrétariats d’État lui permettant de coordonner l’enseignement, la jeunesse et les sports, les loisirs, et la recherche scientifique. Bref, il pilote une politique d’ensemble. Il est le ministre de « l’intelligence » et de la culture pour tous. Le déclenchement du conflit avec l’Allemagne a interrompu plusieurs grands projets en cours d’examen au Sénat : projet de réforme de l’enseignement, projet de loi sur le droit d’auteur et le contrat d’édition, projet créant l’École nationale d’administration, projet de statut du cinéma français. Le festival de Cannes, décidé en 1938 et programmé du 1er au 20 septembre 1939 est ajourné.
Le président François Hollande a décidé que Jean Zay avait sa place au Panthéon aux côtés de trois personnalités de la Résistance. Jean Zay est panthéonisé le 27 mai 2015.
Non loin du lycée polyvalent Jean Zay (ancien collège de jeunes filles désigné ainsi dès 1947) se trouve une grande avenue, entre le Boulevard Marie Stuart et la rue du Faubourg Saint Vincent, qui porte le nom de Jean Zay. Elle a été inaugurée par François Mitterrand le 20 juin 1994.

À l’initiative du Cercle Jean Zay, association dont les filles de Jean Zay, Catherine Martin et Hélène Mouchard-Zay sont membres actives, s’est déroulé à Orléans le Festival de Cannes 1939 (12 au 17 novembre 2019) avec la même programmation que celle initialement prévue.

Le bilan impressionnant d’un grand ministre, le quatrième mousquetaire qui fait suite à François Guizot, Jules Ferry et Victor Duruy

  • Prolongation de la scolarité jusqu’à 14 ans et création des classes de fin d’études (loi du 7 août 1936)
  • Création de classes primaires uniques dans les écoles et suppression des classes primaires dans les lycées
  • Création d’une 6e d’orientation dans les lycées
  • Réorganisation de l’enseignement du second degré (arrêtés du 23 mars et 11 juillet 1938)
  • Vacances scolaires à partir du 14 juillet
  • Création des services de médecine préventive en milieu scolaire et à l’université
  • Impulsion nouvelle aux cantines scolaires
  • Développement des colonies de vacances
  • Développement des œuvres sociales de l’école à l’université
  • Création des activités dirigées et des classes promenades
  • Réorganisation de l’éducation physique et sportive à l’école
  • Création du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (décrets loi du 24 mai 1937 et du 19 octobre 1939)
  • Exposition universelle de 1937 avec création du Théâtre de Chaillot, du Musée d’Art moderne et du Palais de la découverte
  • Formation professionnelle (décret loi du 24 mai 1938)
  • Création de la Phonothèque nationale  décret du 8 avril 1968)
  • Création de la radio et du cinéma scolaire
  • Création des bibliobus
  • Réunion des théâtres lyriques nationaux ( RTLN) regroupement de l’Opéra et de l’Opéra comique (loi du 14 janvier 1939)

Chronologie

  • 6 août 1904 : Fils d’un journaliste de famille alsacienne d’origine juive, laïc, libre penseur, et d’une institutrice protestante, Jean Zay nait à Orléans.
  • 1923 : Après de brillantes études au lycée Pothier et l’obtention du baccalauréat, il devient journaliste au « Progrès du Loiret », un quotidien radical socialiste dirigé par son père, et entame parallèlement des études de droit.
  • 1926 : Il entre en franc-maçonnerie et est initié au Grand Orient de France (loge Etienne-Dolet d’Orléans).
  • 1928 : Il devient avocat au barreau d’Orléans et se fait un nom dans deux procès de crimes passionnels.
  • 1932 : Il est élu, à l’âge de 27 ans, député radical de la première circonscription du Loiret.
  • 4 juin 1936 : Léon Blum le nomme ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts du premier gouvernement du Front populaire. À 31 ans, il est le plus jeune ministre de la troisième République. Il restera ministre, pendant près de 40 mois, un record sous la troisième République.
  • 14 mars 1937 et 17 octobre 1937 : il est élu conseiller général du canton Nord Est d’Orléans
  • 1938 : Il crée le Festival de Cannes, dont la première édition, prévue du 3 au 20 septembre 1939, sera annulée en raison de la guerre.
  • Septembre 1939 : il démissionne du gouvernement afin d’être mobilisé.
  • 20 juin 1940 : Hostile à l’armistice réclamé par le maréchal Pétain, il décide de continuer la guerre en Afrique et embarque, avec 27 parlementaires, sur le Massilia. Deux jours plus tard, l’armistice a été signé. Jean Zay et les élus qui l’accompagnaient sont désignés comme des traîtres et inculpés d’abandon de poste et de désertion.
  • 16 août 1940 : Jean Zay, qui a été interpellé, est transféré à Clermont-Ferrand.
  • 4 octobre 1940 : Il est condamné à la déportation et à la dégradation militaire. Cette condamnation se mue en emprisonnement.
  • 7 janvier 1941 : Il est transféré à la prison de Riom.
  • 20 juin 1944 : Sous prétexte d’un transfert à la prison de Melun jean Zay est emmené par trois miliciens et assassiné dans un bois à Molles (Allier). Son corps dévêtu est jeté dans un puits dénommé le puits du diable. Une charge de plastic explose pour masquer le forfait.
  • 5 juillet 1945 : La cour d’appel de Riom annule la condamnation de 1940 et réhabilite totalement Jean Zay
  • 22 septembre 1946 : Le corps anonyme et celui d’un autre résistant est retrouvé par deux chasseurs. Inhumation au cimetière de Molles avec la mention « Inconnu »
  • 27 juin 1947 :  Cérémonie d’hommage à la Sorbonne
  • 17 mars 1948 : Après une longue traque, le milicien Charles Develle est arrêté et reconnaît être l’auteur du tir de mitraillette qui a tué Jean Zay. Il authentifie les restes de Jean Zay qui sera inhumé par la suite à Orléans.
  • 23 février 1953 : Develle est condamné à perpétuité et sortira de prison deux ans plus tard.
  • 20 juin 1994 : Commémoration à l’Hôtel de ville d’Orléans du 50e anniversaire de la disparition de Jean Zay. Le président François Mitterrand fait son éloge. Inauguration de l’avenue Jean Zay à Orléans.
  • 27 mai 2015 : Les cendres de Jean Zay sont transférées au Panthéon en compagnie de celles de Pierre Brossolette, Germaine Tillion et de Geneviève de Gaulle Anthonioz

Hélène Mouchard-Zay à propos de son père et du Festival de Cannes 1939. Source : MagCentre

Film réalisé par les élèves de première de l’option cinéma du Lycée St Paul Bourdon Blanc autour des préparatifs du festival de Cannes 1939 organisé à Orléans en 2019. Film réalisé sous forme d’un montage d’entretiens réalisés avec différents acteurs de l’événement.

Documentation sur Jean ZAY sur Internet

  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Zay
  • https://lejournal.cnrs.fr/billets/jean-zay-au-pantheon par Antoine Prost professeur émérite
  • https://www.herodote.net/Jean_Zay_1904_1944_-synthese-2033.php
  • https://www.festivalcannes1939.com/sur-les-pas-de-jean-zay-new-york
  • http://www.cndp.fr/crdp-orleans-tours/jean-zay/
  • https://www.larep.fr/orleans-45000/actualites/les-filles-de-jean-zay-se-livrent-apres-l-entree-de-leur-pere-au-pantheon_1883636/
  • https://www.larep.fr/lyon-69001/actualites/le-jour-ou-l-assassin-de-jean-zay-a-echappe-a-la-mort_13090758/
  • https://www.francetvinfo.fr/societe/debats/pantheon/pantheon-le-jour-ou-jean-zay-est-assassine-par-la-milice_916497.html
  • https://www.youtube.com/watch?v=iQiIssHcZt0  Vidéo France 3 par Pierre Bouchenot sur Youtube : Jean Zay la République au Panthéon
  • https://www.youtube.com/watch?v=R2Af_zYSapk  Jean Zay, martyr républicain reportage France3 Val de Loire 23 février 2012. L’historien Antoine Prost, l’archiviste Caroline Piketty et les deux filles de Jean Zay évoquent sa vie, son action, son héritage.
  • https://www.youtube.com/watch?v=-km7VOzprG8 Gérard Boulanger présente son ouvrage « L’Affaire Jean Zay » aux éditions Calmann-Lévy 24 avril 2013
  • https://www.youtube.com/watch?v=37-z7J_7I7I Chaîne de Marc Chabot. Rediffusion le 12 novembre 2017 de l’émission France Inter de Patrick Penot : Rendez-vous avec Mr X du 22 mai 2004
  • https://www.youtube.com/watch?v=tD2Buhp7UHg Jean Zay, sa vie son œuvre reportage reportage France 3  Centre Val de Loire. Intervenants Hélène Mouchard Zay, sa fille, et Pascal  Ory historien 18 mai 2015
  • https://www.youtube.com/watch?v=53Zxg3WZpBE Les derniers jours de Jean Zay reportage France3 Centre Val de  Loire.

Emission de radio sur France Culture 27 mai 2015

Publications de Jean ZAY

  • Chroniques du grenier (Préface d’Olivier Loubes). Nouvelle édition 2016, L’Écarlate, 100 pages octobre 2016, ISBN : 978-2-910142-12-4. Chroniques, écrites entre 1925 et 1926, par celui qui allait devenir ministre de l’Éducation Nationale et des Beaux-Arts sous le Front populaire. Se dessinent déjà les grandes lignes de sa personnalité politique : esprit novateur, pionnier de la culture populaire… Avec une bonne dose d’insolence !
  • La Réforme de l’enseignement / conférence faite par M. Jean Zay, ministre de l’Education nationale à l’Union rationaliste [le 29 novembre 1937] ; Documentation rassemblée par Henri Belliot ; [Note de Charlotte Rieder] http://www.babordnum.fr/items/show/184    Document libre d’accès téléchargeable en pdf.
  • souvenirs et solitude (commentaires d’Antoine Prost).  Belin éditeur, 512 pages, janvier 2011. ISBN 270115703X. Journal de captivité écrit au jour le jour. Une réflexion sur la situation de la France et le bilan de l’action passée à la tâte du ministère de l’Education nationale.
  • La Bague sans doigt, par Paul Duparc (Jean Zay), Sequana éditeur, 1942. https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20190621.OBS14754/quand-jean-zay-publiait-un-polar-depuis-la-prison.html

Ouvrages sur Jean ZAY

  • Marcel RUBY Jean Zay , 416 pages, Corsaire éditions, ISBN : 2-9104 7500 X, novembre 1994. Édition nouvelle du même auteur de La vie et l’œuvre de Jean Zay, 1969, Gedalge éditions – Député a 27 ans… Ministre a 31 ans…Prisonnier politique a 36 ans… Assassiné a 39 ans…C’est avec un sentiment de piété que Marcel Ruby a rédigé la monographie très documentée et détaillée de celui qui fut le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire. Loin de se contenter de récapituler les réformes de Jean Zay (organisation des différents degrés d’enseignement, transformation des programmes, coordination des études, création des classes d’orientation, etc..), Marcel Ruby consacre une large place aux diverses péripéties de sa trop courte existence.
  • Olivier LOUBES Jean Zay, L’inconnu de la République, Armand Colin, 288 pages, octobre 2012, ISBN 2200355858 – Malgré une reconnaissance croissante, Jean Zay, le très jeune ministre de l’Éducation nationale et des beaux-arts de Léon Blum, reste un homme politique méconnu, une figure républicaine inconnue. Pourtant, son œuvre de réformateur est exceptionnelle (démocratisation scolaire, ENA, CNRS, festival de Cannes…), et fait de lui le Jules Ferry du Front populaire. Quant à son emprisonnement dès 1940 puis son assassinat par des miliciens en 1944, ils en font le Dreyfus de Vichy.
  • Gérard BOULANGER L’affaire Jean Zay, La République assassinée, Calmann-Lévy, 528pages, janvier 2013, ISBN 2702143075 – L’essai de Gérard Boulanger explore les causes profondes de cette injustice mémorielle, en allant chercher jusqu’aux tréfonds de l’imaginaire national-catholique qui opposa Jeanne d’Arc à l’Orléanais Jean Zay. Au terme d’une enquête minutieuse dans les archives de la Justice militaire et dans celles de Catherine et Hélène, les filles de cet homme étincelant, sensible et courageux, il analyse cette silencieuse affaire Dreyfus dans une république qu’il dépeint à l’agonie. Et il dévoile le rôle insidieux de Pétain, celui décisif de Darlan dans le piège du Massilia enfin élucidé et celui du faux document qui aboutit à l’inique condamnation de Jean Zay, à qui la France doit tant.
  • Antoine PROST, Pascal ORY Jean Zay, Le ministre assassiné 1904-1944, Taillandier, 160 pages, mai 2015, ISBN 979-1021010703 – Par ses projets, ses décisions, sa méthode et son style, il fut un grand ministre réformateur : classes de fin d’études primaires, sixièmes d’orientation, activités dirigées, sport à l’école, mise en réseau des centres d’orientation, création du CNRS. Aux Beaux-Arts, il a créé la réunion des théâtres nationaux, le Musée d’art moderne et celui des Arts et Traditions populaires, et a lancé le festival de Cannes que la mobilisation de 1939 ajourna. Après Munich, c’est dans le gouvernement l’un des ministres les plus fermes dans la volonté de résister à l’Allemagne nazie. Les collaborateurs dénonceront d’ailleurs en lui un fauteur de guerre, coupable de ne pas avoir fait la paix avec Hitler. 

Auteur : P. Sevestre