« mon maître,  mon père » (Charles Péguy)

Panneau de la rue Théophile Naudy à Orléans

Beaucoup d’habitants du quartier de l’Argonne connaissent la rue Théophile Naudy pour avoir accompagné leurs enfants à l’école Charles Péguy qui s’y trouve, sans pour autant connaître Théophile Naudy. Le rapprochement de ces deux noms ne doit pourtant rien au hasard.

Théophile Naudy est né le 14 novembre 1847 à Paris (XIVe). Son père Jean-Pierre est « chef d’institution », c’est-à-dire responsable d’un établissement d’enseignement. Sa mère, Eugénie Pierron, est sans profession. Théophile se marie le 14 août 1872 à Ursule Van de Weghe. Ils auront une fille, Marthe, née en 1874. Il décède à Paris (XIVe) le 12 janvier 1928.

Théophile Naudy (Extrait de la photo avec les professeurs de l’Ecole Normale d’Instituteur), 1884. Photographe Perrot (pour la photo d’ensemble originale). Centre Charles Péguy, cote XXI 373

Après une carrière d’enseignant, Théophile Naudy est nommé (arrêté ministériel du 10 novembre 1881) directeur de l’École normale d’Orléans du Faubourg-Bourgogne ouverte trois ans plus tôt. Il restera à ce poste jusqu’en 1894 avant d’être promu inspecteur primaire du département de la Seine. Théophile Naudy prend donc la direction de l’École normale à un moment où l’école républicaine est en plein développement.

La gratuité des écoles primaires est décidée en 1881 (Loi Ferry) et la loi de 1882 rend l’enseignement obligatoire. Il est manifestement très en phase avec ce mouvement d’émancipation et contribue à son rayonnement en publiant, un an après sa prise de fonction, un livre intitulé : « L’École – Éducation et instruction en commun. Cours complet de pédagogie et d’administration scolaire, à l’usage des Ecoles normales primaires », Paris, Librairie Paul Delaplane. Il destine ce livre aux élèves-maîtres des écoles primaires et en fait une espèce de vade-mecum. Il fait à cette occasion le point sur les directives du moment en matière d’éducation et souligne les avancées les plus récentes en matière de pédagogie, d’organisation du temps scolaire, de discipline (douceur et fermeté), plaçant toujours l’instituteur, le maître, au centre du dispositif mais en insistant aussi sur la nécessité d’une formation de qualité. Enfin il n’oublie pas les parents et recommande « de les mettre à même de suivre les progrès ou les défaillances de leurs enfants ».

La retraite venue il juge utile de rassembler ses idées dans un long article intitulé : « Depuis 1880 — L’enseignement primaire et ce qu’il devrait être ». Après avoir marqué son attachement à la République et aux fondements du système d’éducation (gratuité, laïcité et enseignement obligatoire) il souhaite promouvoir un débat pour donner plus de cohérence à la politique éducative en proposant d’élaborer « une loi organique qui devienne comme la charte morale de la République française ». Il prône plusieurs réformes en matière d’organisation du ministère en insistant sur la nécessité de s‘appuyer sur l’expérience pédagogique de terrain pour lutter contre la bureaucratie.

Il insiste aussi sur l’intérêt qu’il y aurait à mener des expérimentations dans quelques départements avant de légiférer. Jean Zay, 33 ans plus tard, mettra en œuvre cette méthode.

Théophile Naudy, directeur de l’Ecole Normale d’Orléans
et ses élèves maîtres de 3ème année. s.d. (1883) extrait de l’ouvrage « École Normale d’Instituteur Monographies
plan et vues 1889 Orléans » p.218.
Couverture du livre de Th Naudy – L’Ecole – Education et instruction en commun – 1882

Charles Péguy qui conserve « des relations personnelles, respectueuses, affectueuses » avec ses maîtres et tout particulièrement avec Théophile Naudy, publie l’article dont il est fait mention ci-dessus dans les Cahiers de la quinzaine (7ème cahier – 14e série). Ainsi, 32 ans après la rencontre du maître et de l’élève, se referme la boucle de l’amitié.

On sait que Théophile Naudy a « repéré » le jeune Charles quand celui-ci était élève de l’école d’application de l’École normale dont il venait de prendre la direction, puis qu’il est intervenu pour qu’il obtienne une bourse municipale et insista ensuite pour qu’il entre en sixième. « Il faut qu’il fasse du latin » dira alors Théophile Naudy. Il intervient encore pour que Charles Péguy obtienne une bourse complète quand il était élève au Lycée Lakanal.

Personne, mieux que Charles Péguy n’a rendu hommage à Théophile Naudy.

Quelques citations de son livre L’Argent (11 février 1913) en témoignent : « C’était un homme d’une profonde culture […]. Comme beaucoup d’autres il s’était pour ainsi dire jeté dans l’enseignement primaire au lendemain de la guerre, dans ce besoin de reconstruction civique auquel en définitive nous devons le rétablissement de la France », puis, « M. Naudy était soucieux de fonder, nullement de se faire une carrière personnelle. Il avait ce tempérament de fondateur qui est si beau, qui fut si fréquent dans les commencements de la République. J’avoue que c’était une rudement belle chose que cette École normale… ». Plus loin : « Dirai-je qu’il me distingua. Ce serait parler grossièrement. Il se fit bientôt mon maître et mon père ».

Le Conseil municipal d’Orléans a donné (12 avril 1974) le nom de Théophile Naudy à une rue d’Orléans reliant la rue Malakoff à la rue Saint-Marc, rue dans laquelle venait d’être construite l’école d’application de l’Éducation Nationale, l’École Charles-Péguy.

Références :